Comment anticiper les enjeux juridiques liés à l’apprentissage des IA ?
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Transparence, secret des affaires, protection des contenus : vers une convergence stratégique entre fournisseurs d’IA et producteurs de contenus
Résumé
L’intelligence artificielle générative remet en question les équilibres juridiques du droit d’auteur. Fournisseurs d’IA et créateurs de contenus se trouvent en effet confrontés à des obligations et des vulnérabilités spécifiques. L'occasion de faire la lumière sur ces enjeux, à la croisée des exigences de conformité, de compétitivité et de valorisation. Une chose est sûre : l'avenir des contenus de qualité publiés sur internet conditionnera la pérennité des systèmes d'IA.
Fournisseurs vs créateurs : des intérêts opposés, mais une nécessité commune d’anticipation
L’essor des modèles d’intelligence artificielle, alimentés par des volumes massifs de données, a profondément bouleversé le régime classique de la propriété intellectuelle.
Côté fournisseurs, l’objectif est clair : innover, rester compétitifs, tout en protégeant les secrets industriels et les algorithmes propriétaires.
Côté créateurs, l’enjeu est tout aussi crucial : éviter la captation illicite de leurs œuvres, obtenir une juste rémunération, et garantir la qualité et l’intégrité de leurs contenus dans l’écosystème numérique.
Or, le droit peine encore à articuler ces intérêts divergents.
Les enjeux liés au Data mining (fouille de texte) : que permet la loi ?
L’intelligence artificielle ne fonctionne pas sans données. Pour entraîner un modèle, qu’il s’agisse d’un moteur de recommandation, d’un outil de traduction automatique ou d’un assistant conversationnel, il faut lui fournir d’immenses volumes de textes, d’images, de sons ou de données chiffrées. C’est ce qu’on appelle la phase d’entraînement, au cœur du développement de l’IA.
Dans ce contexte, la fouille de textes et de données (Text and Data Mining ou TDM) est une technique centrale : elle permet d’automatiser la collecte et l’analyse de contenus disponibles en ligne ou dans des bases de données. Grâce au TDM, les algorithmes peuvent repérer des régularités, apprendre des modèles linguistiques ou identifier des relations entre des faits.
Mais cette activité pose une question de fond : a-t-on le droit d’extraire et de copier ces contenus pour entraîner une IA ?
Car la majorité des contenus utiles pour l’IA (articles, livres, images, vidéos…) sont protégés par le droit d’auteur ou d’autres droits voisins. La légalité du TDM dépend donc d’un équilibre délicat entre innovation technologique et protection des créateurs.
La directive européenne de 2019 sur le droit d’auteur a ouvert la voie à de nouvelles règles pour encadrer la « fouille de textes et de données » – ce qu’on appelle le Text and Data Mining (TDM). Ces règles ont depuis été intégrées dans le droit français.
Qu’est-ce que le TDM ?
C’est le fait d’utiliser des outils automatiques (souvent des algorithmes) pour analyser des textes, des sons, des images ou des données numériques, en copiant d’abord les contenus nécessaires pour les traiter. Cela permet par exemple à des chercheurs ou à des entreprises d’identifier des tendances, de faire des recherches ou d’entraîner des intelligences artificielles.
Il existe aujourd’hui deux régimes juridiques distincts :
· Un régime réservé à la recherche publique, qui permet librement le TDM à des fins scientifiques ou académiques. Ce droit ne peut pas être refusé par les titulaires des contenus analysés.
· Un régime destiné aux acteurs privés (ex. : entreprises ou startups), qui peut être utilisé seulement si l’auteur ou le détenteur du contenu n’a pas exprimé son refus, via un mécanisme technique lisible automatiquement par les machines système d'opt out).
Le problème ?
En pratique, il n’existe pas encore de moyen vraiment fonctionnel pour que les auteurs signalent clairement qu’ils s’opposent à l’usage de leurs contenus. Résultat : cette possibilité de refus reste difficile, voire impossible à faire valoir aujourd’hui.
Vers une transparence imposée : l’IA Act change la donne
Le règlement européen sur l’intelligence artificielle (AI Act), entré en vigueur en 2024 (texte officiel), impose une obligation nouvelle de transparence pour les modèles d’IA à usage général.
À compter du 2 août 2025, les fournisseurs ont l'obligation de :
- Documenter les contenus utilisés pour l’entraînement de leurs modèles ;
- Publier un résumé suffisamment détaillé des sources (article 53 AI Act) ;
- Permettre aux titulaires de droits d’exercer un opt-out effectif.
Mais cette transparence ne doit pas se faire au détriment du secret des affaires, protégé en droit français par l’article L151-1 du Code de commerce, qui impose :
la preuve d’une valeur commerciale, d’une confidentialité effective et d’une protection active de l’information confidentielle.
Le défi ? Révéler les ingrédients sans trahir la recette.
Ajoutons également ici la difficulté de répondre a posteriori à ce qui s’apparente « au plus grand casse du siècle ». Il est en effet complexe pour des fournisseurs d’IA d’aujourd’hui de rivaliser avec les pionniers ayant sévi outre atlantique depuis fin 2022.
Ces derniers ont pu aspirer l’intégralité des contenus du web durant une période de sidération générale qui leur a permis de constituer des bases d’entraînement massives, dans un quasi-vide réglementaire.
Ce laisser-faire initial — souvent au mépris des droits des auteurs, éditeurs et producteurs de contenus — a creusé un écart technologique considérable. Les contentieux émergent aujourd’hui, et les cadres législatifs se structurent progressivement, rendant d’autant plus difficile pour de nouveaux entrants de reproduire cette stratégie ou de conquérir des parts de marché significatives. La concurrence n’est plus seulement technique : elle est aussi juridique et financière.
Pour les producteurs de contenus : l’impossibilité de prouver l’atteinte
Base de données, articles, vidéos, images, etc. tous les contenus accessibles sur le web sont potentiellement concernés. Pour les producteurs de contenus, il est extrêmement difficile de se prémunir contre la captation automatisée opérée à grande échelle par les systèmes d’IA.
Les mécanismes traditionnels de protection — droits d’auteur, bases de données, ou clauses contractuelles — peinent à faire le poids face à des technologies capables d’aspirer des volumes massifs de données en quelques heures, souvent sans que les ayants droit n’en aient conscience.
Dans un environnement numérique où l’accès technique prime sur le consentement juridique, la protection des œuvres devient un véritable défi, tant sur le plan technique que judiciaire.
En l’état, l’absence d’accès aux bases d’entraînement des IA empêche tout contrôle réel. Les titulaires de droits ne peuvent ni vérifier l’utilisation de leurs œuvres, ni demander réparation.
Pourtant, les protections existent :
- Le droit d’auteur (articles L111-1 et suivants CPI) protège les œuvres originales, indépendamment de leur format ;
- Le droit des producteurs de bases de données (articles L341-1 et suivants CPI) protège l’investissement substantiel réalisé pour constituer ces bases.
Mais sans preuve d’utilisation illicite, ces droits restent lettre morte. Comme le rappelle le CSPLA, le droit ne vaut que s’il est "justiciable et opposable".
Une convergence est-elle possible ?
Le ministère de la Culture a missionné le CSPLA pour deux objectifs :
- Évaluer les exigences de transparence de l'AI Act ;
- Concevoir des solutions sectorielles pour garantir une protection effective des œuvres exploitées par l’IA (musique, audiovisuel, édition...).
L’enjeu est à la fois économique et stratégique :
- Permettre aux fournisseurs d’IA de garantir une conformité réglementaire robuste, véritable avantage concurrentiel sur le marché européen ;
- Offrir aux producteurs de contenus les outils pour valoriser la qualité de leurs actifs et devenir partenaires légitimes des IA de demain.
Conclusion : l’anticipation juridique comme levier de valorisation
Anticiper les enjeux juridiques en matière d’apprentissage des IA, ce n’est pas freiner l’innovation. C’est :
✅ Pour les fournisseurs de solutions IA :
- Sécuriser leur modèle économique face aux régulateurs européens,
- Préserver leur savoir-faire via une gestion rigoureuse du secret des affaires,
- Nouer des accords gagnant / gagnant avec les producteurs de contenus assurant des accès à une information de qualité pour entrainer et faire progresser leur système d’IA
- Gagner en crédibilité auprès des partenaires et des investisseurs.
✅ Pour les producteurs de contenus :
- Assurer une traçabilité et une valorisation concrète de leurs actifs immatériels dont font par exemple partie les bases de données,
- Maintenir la qualité et l’originalité des contenus publiés,
- Créer de nouvelles opportunités de collaboration avec les fournisseurs d’IA.
Une stratégie juridique 360° — combinant conformité réglementaire, architecture contractuelle et valorisation des actifs immatériels — permet de réconcilier innovation technologique et respect du droit. C'est également une vision à long terme : protéger les producteurs de contenus de qualité conditionne la survie des modèles d'IA.
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